Son combat pour les agriculteurs

Le réalisateur poitevin Edouard Bergeon tourne actuellement en Mayenne la deuxième partie de son film Au nom de la terre. Un long-métrage de fiction sur le malaise dans les campagnes françaises. Son père y a laissé la vie, comme encore trop d’agriculteurs. Les chiffres font froid dans le dos.

Arnault Varanne

Le7.info

Le 29 mars prochain, cela fera exactement vingt ans que Christian Bergeon a mis fin à ses jours. L’agriculteur de Jazeneuil n’en « pouvait plus ». « On a tout eu sur notre exploitation, deux incendies, des impayés, des maladies, un redressement judiciaire…, avance son épouse Marylène. A un moment donné, on a même peur du facteur qui apporte de mauvaises nouvelles. » Elle assure avoir « tourné la page » et « ne plus être dans la peine ». Mais se réjouit du travail de son fils Edouard, dont le tournage du premier long-métrage Au nom de la terre (*) se déroule actuellement dans une ferme de Mayenne. Dans le rôle de Christian, Guillaume Canet. Dans le rôle de Marylène, Veerle Baetens. Au cœur du film : la détresse d’une famille de paysans en proie aux dettes et aux nuages qui s’amoncellent. Sortie prévue à l’automne 2019.

« Je suis contente qu’Edouard puisse faire passer des messages à travers son film. Il faut que les gens comprennent ce que vivent les éleveurs ! », appuie-t-elle, En 2012, le réalisateur avait déjà commis Les fils de la terre, documentaire coup-de-poing sur la vie tumultueuse de Sébastien, producteur de lait du Lot. Hélas, la situation des forçats de la terre n’a pas beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies. En 2010 et 2011 -derniers chiffres disponibles-, 296 agriculteurs se sont suicidés en France. Selon Santé publique France, « les hommes du secteur élevage de bovins-lait présentaient une surmortalité par suicide de 51% supérieure à celle de la population générale ».

« Le regard négatif de la société »

Dans le détail, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Le plus grand nombre de suicides se produit dans les périodes où le prix du lait est au plus bas. « Cela, alors que 30% des agriculteurs émargent à 350€ par mois. » A ce phénomène de paupérisation galopante, qui contraste avec un rythme de travail intense, s’ajoute un autre facteur : le « regard négatif de la société », dixit Sébastien Caillaud, responsable adjoint du service sanitaire et social de la Mutualité sociale agricole (MSA) du Poitou. « Tous ces éléments, conjugués à des problèmes familiaux, une rupture ou la maladie, peuvent avoir des conséquences terribles… » Depuis plusieurs années, la MSA et ses partenaires multiplient les initiatives, comme le dispositif « Se faire remplacer pour souffler » ou le numéro vert Agri’écoute (09 69 39 29 19), permettant de « dialoguer de façon confidentielle avec une psychologue ». Des forums-débats théâtre auront également lieu les 1er et 4 avril, respectivement à Montmorillon et Mirebeau. L’objectif ? Libérer la parole.

Dans un autre genre, la marche de Patrick Maurin ne devrait pas passer inaperçue. Le 10 février, l’élu de Marmande partira du Touquet pour rallier le Salon international de l’agriculture, treize jours plus tard. Il compte remettre en mains propres au Président de la République « les doléances des familles endeuillées ». Patrick Maurin-Edouard Bergeon, même combat… Au nom de la terre.

(*) Production Nord-Ouest films.

 

Grand écran
Il en va de la situation des agriculteurs comme de celle des policiers. Constamment sous pression, beaucoup craquent et choisissent la mort comme exutoire. Les deux professions sont surreprésentées dans les données de mortalité par suicide. Comme le rappelle assez justement Christian Baudelot et Roger Establet (*), « le deuil après suicide n’est pas un deuil comme les autres ». Telle une bombe à fragmentation, cette mort violente plonge les proches dans un mélange de honte et de culpabilité. Elle culpabilise, interroge et, hélas, jette l’opprobre dans notre société toujours mal à l’aise avec ce tabou. Le premier long-métrage de fiction du réalisateur poitevin Edouard Bergeon compte justement mettre en lumière le malaise dans les campagnes. Il fait œuvre utile, par fidélité et conviction, avec un casting de rêve pour incarner cette réalité par trop ignorée de la plupart des contempteurs du milieu rural. Gageons qu’Au nom de la terre saura éveiller les consciences des citadins. Au risque de rappeler des évidences, les paysans sont les premiers à nourrir la planète. Que leurs pratiques évoluent oui, qu’ils soient mis au banc de la société, non.

(*) Auteurs, en 2006, de Suicide, l’envers de notre monde.
(DR Philippe Vandendriessche)

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