Claire et Frida, une si longue histoire

Dans son dernier roman, Rien n’est noir, Claire Berest plonge dans la vie, les pensées, le corps de la peintre mexicaine Frida Kahlo. Elle la « connaissait » depuis tellement longtemps déjà... 

Claire Brugier

Le7.info

Pourquoi Frida Kahlo ?

« C’est une rencontre d’amour fou personnelle. Il y a vingt ans, je suis partie au Etats-Unis sur un coup de tête, pour suivre un mec comme on fait à 20 ans ! Je suis arrivée à New York, je n’avais pas d’amis, je ne parlais même pas anglais... Je me suis retrouvée dans une solitude inédite. Et un jour, mon copain m’a offert une carte postale de Frida. A l’époque, je ne la connaissais pas. Et je suis tombée dedans ! J’ai dévoré tous les livres sur elle, sa correspondance, son journal intime. Elle est devenue cette autre avec laquelle on peut discuter toute sa vie. Mon amie. Je n’avais jamais eu l’idée d’écrire sur elle. Mais je suis sortie essorée de Gabriële et je me suis demandé ce que je pourrais écrire après. C’est alors que mon compagnon, le père de ma fille qui s’appelle Frida -ça frôle la névrose...- m’a dit qu’il était peut-être temps que je parle de Frida. » 

On a déjà beaucoup écrit sur elle. Comment avez-vous abordé le personnage ?

« Contrairement à mes autres livres, dont l’accouchement avait été douloureux, j’ai écrit dans la joie. Je possédais un savoir assez vaste sur le sujet, mais chaotique, éclaté. Or, je ne voulais ni trahir le lecteur, ni Frida. J’ai donc ressorti toute ma documentation. Après, quand il faut écrire, c’est comme s’il fallait tout brûler. » 

Où avez-vous placé la frontière entre éléments biographiques et fictifs ?

« Il fallait que le livre soit pointu pour ceux qui connaissent Frida et que les autres puissent le lire comme un roman d’amour fou. J’ai fait un travail acéré de recomposition, mais certains moments de sa vie font l’objet d’hypothèses. Ma liberté a été de choisir certaines hypothèses. Ecrire un livre, c’est comme construire une maison : les murs et les fondations doivent être solides ; à l’intérieur, je m’arrogeais le droit d’être Frida Kahlo. »

Vous faites le choix du discours indirect libre...

« Je voulais écrire à la troisième personne. Le reste s’est fait de manière sauvage et naturelle. Je voulais proposer ma Frida, écrire ce que c’est qu’être une femme trompée, accidentée dans son corps, qui a mal et sublime sa douleur. Je voulais qu’on soit dans ses doigts quand elle peint, dans son lit quand elle fait l’amour avec Diego, dans son corps quand elle souffre. L’une des premières scènes que j’ai écrites est celle de l’accident. C’est la première fois que Frida et Diego s’aiment. Il lui demande d’où viennent toutes ses cicatrices et elle lui raconte. J’ai alors pris conscience que je ne voulais pas placer Frida à l’extérieur de Diego, que je ne voulais pas faire un livre sur Frida mais sur l’amour fou. »

Dans votre roman, Frida et Diego ont un rapport d’égal à égal. Etait-ce la réalité ?

« Certains disent qu’il était odieux, affreux... Mais quand Frida va le chercher, elle sait qui il est, elle est allée à l’endroit où ça allait faire mal. Dans sa correspondance, il la pousse à peindre, à exposer ses tableaux. »

Vous décrivez plusieurs tableaux au fil du roman...

« Personnellement, je suis entrée dans Frida Kahlo par ses tableaux. Beaucoup sont des autoportraits mais certains représentent les violences conjugales, la grossesse et la fausse couche... On n’avait jamais peint le corps des femmes comme ça. Courbet, c’était encore un regard d’homme. Je voulais faire découvrir ses tableaux de la décennie 1929-1939 car ils disent quelque chose de sa vie. J’ai voulu les dépeindre sans analyse, les décrire comme on les voit, et donner envie de les voir. » 

Pourquoi avoir associé chaque chapitre à une couleur ?

« En travaillant, pour plus de praticité, j’ai mis des repères de couleur. Puis je me suis prise au jeu. Plus encore, dans une page de son journal, Frida parle des couleurs, le bleu pour la tendresse, le rouge pour Aztèques, le jaune pour les sous-vêtements des fantômes... Et à la fin elle écrit « nada es negro, absolumente nada ». Cela m’a longtemps portée. Cela faisait donc sens. »

Après l’écriture de ce livre, Frida est-elle toujours votre « amie » ?

« Ce livre a créé une autre relation, au-dessus de l’autre. D’un côté Frida est dans ma vie ; de l’autre elle est mon sujet et je suis à son service. J’ai porté ce livre de façon intense. » 

Comment envisagez-vous le prochain ?

« Je sais qu’à un moment je vais aller vers un autre livre, que je devrai laisser Rien n’est noir vivre sa vie. Mais je continuerai ma relation avec Frida. »

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Rencontre le mercredi 4 mars, à 18h, à la médiathèque François-Mitterrand à Poitiers.

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