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Manuel Carcassonne : « L'édition est une industrie de prototypes »
Catégories : Société, Social, Solidarité Date : vendredi 28 février 2020Du 3 au 14 mars, les Editeuriales de Poitiers donnent carte blanche aux Editions Stock. Entretien avec Manuel Carcassonne, directeur général de la vénérable maison et garant de sa ligne éditoriale.
Dans le monde de l’édition, Stock est reconnue comme une maison à l’identité forte. Comment la définiriez-vous ?
« C’est une maison qui existe depuis 1708. C’est impressionnant et en même temps cela ne veut pas dire grand-chose, au sens contemporain. Après vingt-trois ans aux éditions Grasset, j’ai souhaité ne pas marquer de rupture très forte en littérature, je me suis inscrit dans la continuité. La collection Bleu représente 50% des titres et, les bonnes années, plus de 50% du chiffre d’affaires. En non fiction, je me suis davantage positionné en rupture. J’ai fondu les collections de sciences humaines en une seule, Les Essais, à laquelle j’ai ajouté Ma Nuit au musée, qui amuse beaucoup les auteurs, et une collection avec Laure Adler sur les femmes. En diversifiant le secteur documentaire, j’ai aussi marqué une rupture. En littérature étrangère, je n’ai pas changé la collection, la Cosmopolite, mais la personne, en nommant Raphaëlle Liebaert. »
Quelle est la stratégie éditoriale de Stock ?
« Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Il faut qu’il y ait un équilibre entre la littérature et la non fiction. Les années où cet équilibre est rompu, c’est plus difficile. Le vrai problème de maisons d’édition comme Stock, c’est de se positionner en littérature générale. Le marché est difficile, encombré, avec beaucoup de concurrents. Ce n’est pas un marché en hausse comme la bande dessinée ou la littérature jeunesse. »
Votre expérience de critique littéraire vous fait-elle aborder l’édition différemment ?
« Editeur et critique, ce ne sont pas les mêmes métiers, si ce n’est qu’on reçoit la littérature et qu’on la lit. Cela ne change pas mon regard. Depuis l’adolescence, je suis un gros lecteur. Je n’aime pas la réalité. En déplacement, je pars toujours avec des sacs de livres, sinon j’angoisse. Je les trimballe comme une maison. »
Comme choisissez-vous les livres que vous décidez d’éditer ?
« En littérature, c’est moi qui valide les textes et qui décide ; en non fiction, je suis plus flexible. Le choix dépend de chaque livre. L’édition est une industrie de prototype. Quelle est la ressemblance entre Line Papin et Philippe Claudel, Erik Orsenna, Didier Decoin... ? Ce qui les relie, c’est de savoir s’ils ont créé un monde différent. Nous faisons aussi des paris. Par exemple avec Emmanuelle Lambert. Elle avait fait un premier roman, elle préparait une exposition au Mucem, à Marseille. Je l’ai orienté vers un livre qui ne soit pas universitaire et cela a donné Giono, furioso, Prix Femina Essai 2019. On essaie de faire un travail de qualité, avec de vrais écrivains, un vrai rapport à la littérature, en ayant une présence forte sur la rentrée littéraire."
Précisément, que représente la rentrée littéraire ?
« C’est un moment fort. C’est le Festival de Cannes de la littérature. Dès janvier on est tendus vers la rentrée. On travaille sur la couverture, la promotion, le marketing, puis on établit la tournée des libraires. Nous faisons plus de 60% de notre chiffre d’affaires avec les librairies indépendantes. J’intègre les GSS (ndlr, grandes surfaces spécialisées), et en partie la Fnac où est menée une vraie politique du livre. Ce sont nos clients privilégiés, cela ne veut pas dire que l’on ne va pas voir les autres. Mais les ventes en supermarché sont en baisse. Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui ont un rôle très fort promotionnellement. »
Quelle est la place de l’éditeur auprès des auteurs ?
« Les auteurs sont des gens qui travaillent dans la solitude. Le cinéma, la télévision, la musique s’inscrivent dans un travail collectif. «Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie, mais de l’obscurité et du silence », disait Marcel Proust. Et c’est vrai. On n’écrit pas à deux, à trois... L’écrivain a donc besoin d’un accompagnement. Je ne suis pas médecin mais j’ai rendez-vous quasiment toutes les heures avec des écrivains. Certains me semblent sortis de leurs brumes, de leur univers. Certains livres sont pénibles à vivre seul. Il y a à la fois de la souffrance et du plaisir. Le regard de l’éditeur peut soit inquiéter, soit rassurer. »
Quel est votre dernier coup de cœur littéraire ?
« Dans les livres déjà parus, celui de Blandine de Caunes, La Mère Morte, parce qu’il raconte en partie l’histoire de sa grand-mère Benoîte Groult, une écrivaine que j’ai eu le privilège d’accompagner pendant les quinze dernières années de sa vie et avec qui je me suis beaucoup amusé. Aussi parce que c’est un livre sur la reconstruction. Comment survivre ? C’est une question que je me pose tous les jours. Dans les livres à paraître, j’ai un coup de cœur pour Vies d’un sabre, d’Emmanuel Ruben, un véritable roman picaresque. »
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