Mineurs étrangers : l'impasse publique

Les jeunes mineurs isolés étrangers affluent massivement dans la Vienne. Le Conseil général concède son incapacité à faire face. En septembre, les portes de l’Aide sociale à l’enfance sont même restées closes. Ce que dénoncent avec vigueur les associations…

Arnault Varanne

Le7.info

Dylan et Lionel(*) attendent là, dans le hall d’un hôtel de la gare de Poitiers. Attendre, les deux Camerounais ne font que ça depuis deux mois. Ils sont arrivés dans la Vienne par bus, en provenance de Madrid. Dylan a quitté son pays pour « avoir un avenir meilleur ». Lionel, lui, a « vécu l’enfer là-bas, après la mort de son père ». Deux parcours parallèles, mais un même eldorado. Entre la fin août et le début septembre, vingt-six mineurs isolés auraient débarqué dans la capitale régionale. Au point de semer la « panique » dans le service de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). La loi indique que les mineurs isolés -français et étrangers- doivent être placés sous la protection du président du Conseil général.

Dans les faits, le Département tire la sonnette d’alarme. « Avant 2010, nous avions une dizaine de jeunes par an. L’année dernière, c’était soixante-treize. Et cette année, plus encore… », analyse un technicien de la collectivité. Dès le 5 septembre, le CG86 a carrément fermé les portes de l’ASE pendant un mois, faute de solutions. Une note de service l’attesterait. De fait, les vingt-six places d’urgence ont été prises d’assaut. Et les hôtels réquisitionnés affichent aussi complet. « On demande à des éducateurs, dont ce n’est pas le métier, de vérifier l’identité des jeunes, de diligenter des expertises médicales pour connaître leur âge… Nous sommes dans une impasse », confie encore notre source au CG86, qui tient à rester anonyme.

« Alerter et poser des questions »

Mi-septembre, cette impasse aurait pu conduire à un drame. Un jeune Guinéen a été ballotté d’un endroit à l’autre, sans que personne ne sache où il se trouvait pendant plusieurs heures. « Il s’est s’abord présenté au Toit du Monde, témoigne Nicolas Chassaing, animateur du service d’accès aux droits au sein de l’association. Nous avons alerté le service de l’ASE, qui nous a indiqué qu’il ne le prendrait pas en charge. Nous avons signalé la situation au substitut du procureur en charge des mineurs, le lendemain. » Finalement, après un détour par le CHU et la Croix-Rouge, le mineur a été « recueilli par la communauté des Guinéens de Poitiers », dixit Vincent Divoux, directeur des centres socioculturels. Une situation forcément provisoire, même si le juge des enfants a, depuis, pris une ordonnance de placement avec mesures éducatives. Le Conseil général n’a eu d’autre choix que de s’y conformer. Mais pour les autres ?

Le collectif des comités de quartier s’est ému de cette situation -et d’autres-, en adressant un courrier au député-maire de Poitiers, au président du Département, à la préfète de la Vienne, au procureur de la République… « Pour alerter et poser des questions. » Le Toit du Monde soutient officiellement cette initiative. Le président de l’association, Lakhdar Attabi, estime que « la sécurité des enfants ne doit pas être sujette à des polémiques sur la question de leur âge, avec la suspicion qui l’entoure ». De son côté, le Département renvoie la balle à l’Etat et se dit « submergé ». En attendant, les mineurs en déshérence fondent l’espoir que leur avenir s’inscrive ici. Dylan aimerait être électricien, Lionel, menuisier.

(*) Les prénoms ont été modifiés à la demande des jeunes.
 

Ce que dit la circulaire Taubira
À ce jour, 8 000 jeunes étrangers isolés seraient en France. Entrée en vigueur le 31 mai 2013, la circulaire Taubira a, entre autres mesures, pour objectif de « limiter les disparités entre les départements d’accueil ». Le texte indique que l’Etat prend en charge financièrement les cinq premiers jours de l’évaluation du jeune par les services du Département. Lequel doit s’assurer de sa minorité -par le biais d’expertises osseuseset de sa situation d’isolement sur le territoire français. Dans la réalité, les débats tournent très souvent autour de l’âge des jeunes. Mais les expertises, longues et aléatoires, ne règlent pas le problème de leur avenir.

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