« Un CHU qui n’investit pas<br> est un CHU mort »

En septembre prochain, Jean-Pierre Dewitte bouclera un bail de quinze ans à la tête du CHU de Poitiers. Régulièrement soumis aux critiques syndicales, le directeur général soutient mordicus que le rayonnement de son hôpital, voire sa survie, passe avant tout par l’investissement dans la médecine et la fusion des moyens.

Nicolas Boursier

Le7.info

En septembre 1998, vous preniez la succession de Daniel Moinard à la tête du CHU. Il est rare que des directeurs généraux « tiennent » aussi longtemps. Quel est votre secret ?
« Le seul que je revendique est d’être resté fidèle à mes primes convictions. En quinze ans, j’ai toujours fait mon credo du maintien et du renforcement de la dimension universitaire du CHU de Poitiers. Et je suis fier d’avoir tenu le cap. Si notre hôpital est aujourd’hui reconnu sur l’échiquier national, c’est qu’il a réussi à trouver le juste équilibre entre l’investissement dans l’innovation et la foi en la matière grise. Pensez qu’en 1998, le CHU n’avait aucun laboratoire Inserm. Il en recèle cinq aujourd’hui, avec cent emplois financés en interne. Avoir relevé le pari de la recherche constitue l’une de mes plus belles réussites. »
 
Vous évoquiez l’innovation par l’investissement. Est-ce aussi une fierté que d’avoir accompli quelques rêves ?
« Mon rôle ne consiste pas à formuler des rêves, mais à faire en sorte que l’hôpital public vive le mieux possible. Or, je le dis le plus sincèrement du monde : un CHU qui n’investit pas est un CHU mort. Je suis conscient que le simple fait d’évoquer des chantiers aussi imposants que la rénovation des urgences, la construction du pôle de cancérologie ou celle du futur pôle neuro-cardio-vasculaire suscite des interrogations. Y compris au sein du personnel, car on parle là de dizaines de millions d’euros engagés. Mais je pose à mon tour la question : que serait, aujourd’hui, le CHU de Poitiers s’il n’avait pas érigé en priorité de moderniser la prise en charge des pathologies lourdes ou de réorganiser totalement sa filière gériatrique ? Un hôpital de seconde zone, avec moins de patients, donc moins de salariés, et une dépendance accrue vis-à-vis des plus gros. »
 
Cette concurrence inter-hospitalière peut-elle mettre en péril l’avenir de votre CHU ?
«  Pour vivre et se développer, l’hôpital public doit apprendre à abolir les frontières. Cette territorialisation, nous l’avons entamée en fusionnant par exemple avec Lusignan l’an passé. Mais nous voulons aller plus loin. Nous répondons actuellement à un appel d’offres sur la création d’un « inter-CHU » avec nos homologues de Tours et Limoges pour œuvrer en commun dans deux domaines : les neurosciences et la transplantation. L’idée est de convaincre les autorités sanitaires que si un CHU est spécialisé dans le prélèvement, que si son voisin est passé maître dans l’art de conserver les organes et que si le troisième est à la pointe de la greffe, il y a tout intérêt à se regrouper. J’espère vraiment que ce projet va aboutir. »

 

« Il n’y a que par la mutualisation que l’on peut
dégager des économies substantielles. »


 
Dans votre discours comme dans vos actes, un mot sonne comme un leitmotiv : la mutualisation. En interne, notamment dans les rangs syndicaux, on vous reproche aussi de déshumaniser l’hôpital à travers cette obsession des regroupements. Quelle réaction cette attaque vous inspire-t-elle ?
« Je le répète : le CHU de Poitiers ne pourra tenir son rang que si tous les efforts sont faits pour fusionner au mieux les compétences humaines et les moyens logistiques. Le futur bâtiment du vaisseau va renfermer, en un seul et même lieu, tout ce que le domaine neuro-cardio-vasculaire peut concentrer de technologie et de savoir-faire médical. On va minimiser les déplacements, offrir une vraie dimension de proximité aux patients, favoriser, pourquoi pas, l’émergence d’une plus grande polyvalence au sein des personnels. Cette variabilité dans les habitudes de travail doit être assumée. Je ne doute pas une seule seconde qu’elle le soit progressivement. Il n’y a rien de « déshumanisant » là-dedans ! »
 
Si l’on vous suit, on peut très bien investir massivement d’un côté et faire des économies de l’autre ?
« Non seulement on peut, mais il le faut. Le parti-pris de l’investissement dans la médecine n’a qu’un but, favoriser des soins de qualité. Ces dépenses sont incontournables. Reste que la réalité économique nous rattrape souvent. Comme cette année, où notre résultat net va être déficitaire (voir par ailleurs). Or, il n’y a que par la mutualisation que l’on peut dégager des économies substantielles. Pourquoi ne pas fusionner les services de paie de Montmorillon, Lusignan ou Poitiers, alors que c’est la même maison ? Pourquoi ne pas renégocier une pharmacie commune au CHU et à Laborit ? Ce que nous avons réalisé en gériatrie, avec Pasteur, peut être reproduit dans bien des secteurs, à moindre échelle. J’en suis persuadé. »

 

« Suis-je obligé d’accepter les abus et d’admettre,
sans broncher, que le CHU culmine à 8,5% d’absentéisme ? »


 
Et où en êtes-vous des « efforts » demandés aux personnels sur la réduction de leurs jours de RTT ?
« Cette suggestion m’a valu une forte levée de bouclier au début de l’été. J’ai effectivement émis l’idée que les personnels à temps variables réduisent de quatre jours leurs RTT, dans ce seul souci d’économies et d’ajustement de personnels dont notre fonctionnement à long terme dépend. Quatre jours multipliés par trois mille agents, cela ferait douze mille jours libérés et une soixantaine d’emplois qui pourraient être créés. Dans certains services, ce sang neuf ferait du bien. Le projet est ajourné, mais j’y reviendrai très vite, car on ne peut pas se permettre de laisser faire les choses. »
 
De l’extérieur, on ne sent pas une vraie harmonie d’opinion entre la direction générale et les personnels médicaux. Est-ce une vue de l’esprit ?
« J’ai le plus grand respect pour le travail effectué par le personnel soignant. Simplement, je me heurte souvent à de vraies incompréhensions. Diriger une telle entreprise, forte de six mille employés, c’est faire face à des caractères et des positions radicalement opposées aux miens. Je considère que l’acte de soin n’est pas plus difficile aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Ce qui a changé, ce sont les rythmes de vie et le profil des patients, souvent fragilisés, qui renvoient très souvent vers les aides-soignantes ou infirmières leurs propres misères. Cette dimension sociale, affective parfois, est très lourde à supporter. Une fois que j’ai dit cela, suis-je obligé d’accepter les abus et d’admettre, sans broncher, que le CHU culmine à 8,5% d’absentéisme. Comment voulez-vous que la gestion des effectifs ne prenne pas du plomb dans l’aile quand certains n’en ont rien à faire du petit voisin.  Pour moi, c’est une évidence, la majorité des personnels soignants sont de très bons professionnels. Il y a, hélas aussi, encore trop de gens qui ne jouent pas le jeu. »
 
Les personnels administratifs, eux, pourraient bientôt disposer d’un nouveau pavillon. Encore un moyen de vous mettre les soignants à dos, non ?

« Je ne mène de combat contre personne. Je constate simplement les faits. Et notamment celui-là : les personnels administratifs sont aujourd’hui trois cents à être disséminés sur sept secteurs. Est-ce anormal de vouloir les regrouper et leur offrir des locaux dignes de ce nom ? Moi, ça me semble légitime. Là encore, le projet est repoussé, mais il verra le jour. »
 
Parmi les autres sujets qui « fâchent », revient souvent le problème de stationnement à la Milétrie. Verra-t-on un jour des parkings à étages fleurir sur le site ?
« La Milétrie se compose de 50% de zones construites et de 50% d’espaces verts. Je tiens à cette dimension naturelle. Cela signifie que je ne couperai pas des arbres pour faire des parkings. Nous disposons de 4000 places à ce jour. Ma priorité est de faciliter l’accès des patients et des consultants. Pour le personnel, c’est parfois difficile, je le concède, surtout lorsque les étudiants de la fac de médecine vampirisent l’espace. Mais il faut, là aussi, trouver des solutions. Les campagnes faites autour du covoiturage et du recours aux transports en commun au départ des parcobus n’ont hélas pas assez fait leur effet. Peut-être devra-t-on revoir les horaires de gardes de certains services, pour éviter que les emplois du temps ne se chevauchent à des heures de grande affluence. Le CHU de Bordeaux, lui, a trouvé une autre solution. Il a cédé la gestion de ses parkings à Vinci et, désormais, ils sont payants. Je ne veux pas me résoudre à cette extrémité. »
 
 
 

7M€
... Soit la dette actuelle du CHU de Poitiers. « L’une des plus faibles des centres hospitaliers publics de France », selon Jean-Pierre Dewitte. Lequel rappelle que l’exercice 2012 avait généré un résultat positif de 6M€, entièrement injectés au futur pôle neuro-cardio-vasculaire, dont le bâtiment doit être livré en août 2016. Coût total de l’opération : 65M€.
Pour 2013, le directeur général s’attend à un résultat déficitaire. « Nous étions à -3M€ en juillet, avec une baisse de 1,5% du nombre de séjours au 30 juin », explique-t-il.
« D’ici à trois ans…
... 70% de la chirurgie se fera en ambulatoire. C’est une perspective à laquelle aucun CHU de France ne pourra échapper pour réduire les coûts d’hospitalisation. »
De Poitiers à… Poitiers
Né le 2 avril 1952 à Bordeaux, Jean-Pierre Dewitte a débuté sa carrière hospitalière, en janvier 1976, au CHRU de… Poitiers, où il occupait le poste d’assistant de direction en charge des services économiques. Après des expériences diverses en Martinique, à Pau et Nantes, il a été nommé directeur général du CHU de Poitiers en septembre 1998 (la France, outre-Mer comprise, compte trente et un « DG ») et ne refuse pas l’idée d’y finir sa carrière, dans cinq ans.
 

 

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