Répéter et rien d'autre

Les interprètes assermentés près la Cour d’appel de Poitiers sont réquisitionnés pour des conversations privées entre inspecteurs, avocats et justiciables. Ils sont au centre du septième épisode de notre série sur les métiers soumis au secret professionnel.

Romain Mudrak

Le7.info

L’atmosphère est souvent lourde pendant un interrogatoire. L’inspecteur a l’habitude, le justiciable est prévenu, mais qu’en est-il de l’interprète ? Manuela Ciuruc intervient en garde à vue, lors des interpellations, devant le juge d’instruction et à l’audience publique, essentiellement dans des affaires pénales. Police et gendarmerie ont le pouvoir de la réquisitionner jour et nuit pour faciliter les échanges avec un prévenu ou un témoin. L’hiver dernier, elle a assisté à l’évacuation des squats de Poitiers, afin de permettre aux Roms parlant son dialecte de s’exprimer. Elle revendique son statut de professionnelle : « Je ne suis pas seulement une Roumaine qui donne un coup de main à la police. J’ai été formée à l’université pour m’adapter à la situation, au rythme de parole, mais surtout à la gestion de mes émotions. » Face aux pleurs ou à la colère, Manuela confie que le plus dur, dans sa fonction, consiste à garder ses distances avec les individus arrêtés : « En tant que compatriotes, ils nous prennent pour des alliés ou, au contraire, pour des traîtres, de mèche avec la police. » Elle a donc décidé de poser un « cadre strict » qu’elle ne dépasse sous aucun prétexte. Une ligne de conduite valable vis-à-vis des proches du prévenu, comme de la police : « Dans un couloir ou en voiture, entre deux séances d’interrogatoire, certains prévenus m’ont déjà fait des aveux pour que je les aide. Sans avocat, ni inspecteur, ce n’était pas le lieu. Je leur ai dit stop et je n’ai rien répété. »

Savoir et se taire

Les interprètes sont soumis à un serment (lire ci-contre), qui les empêche de dévoiler les décisions de justice avant qu’elles ne soient officiellement prononcées. Et pourtant, comme les autres experts de son genre, Manuela Ciuruc est régulièrement amenée à traduire des jugements en amont, afin qu’ils soient remis le jour J au prévenu : « Je me mords les lèvres quand je sais qu’un détenu ne bénéficiera pas de la libération tant espérée. » Manuela s’interdit également de mettre ses compétences juridiques au service des justiciables. Elle est pourtant titulaire d’une licence de droit roumain (elle connaît de fait les arcanes du Code du Travail de son pays) et d’un master de juriste-linguiste obtenu à Poitiers… « En conseillant les avocats, je sortirais de mon rôle. » Toujours cette même ligne de conduite. En rentrant chez elle, Manuela Ciuruc évite de parler de ses affaires à sa famille. Secret professionnel oblige ! Mais c’est aussi une façon de se préserver que de laisser l’atmosphère crispante des gardes à vue derrière elle.
 

Le serment du secret

Le secret professionnel s’applique de manière très officielle dans l’exercice du métier d’interprète. Avant chaque mission, les traducteurs doivent prêter serment. A la barre, ils lèvent la main droite mais, le plus souvent, ils signent une déclaration sur l’honneur. Le texte est dicté par l’article 10 du décret n° 2005-214 du 3 mars 2005 : « Je jure d’exercer ma mission en mon honneur et conscience et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à cette occasion. » « Le plus souvent, ce sont les avocats eux-mêmes qui nous rappellent cet aspect de la loi », se félicite Manuela Ciuruc. Qui, de son côté, s’applique cette règle naturellement.

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