Quand les plaques de rues mouchardent

Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit… Troisième étape dans le centre-ville de Poitiers. Les plaques de rues aussi ont leurs mots à dire.

Claire Brugier

Le7.info

L’histoire de Poitiers est écrite dans les livres, inscrite dans son architecture mais elle se lit aussi à chaque coin de rue, d’impasse ou de venelle. Sur les murs, les plaques émaillées bleu et blanc des rues racontent la ville passée. Et ce depuis l’Antiquité. 

Les arènes de la rue des Arènes-Romaines ont ainsi bel et bien existé. Au IIe siècle, elles couvraient l’ancien marché Saint-Hilaire, la rue Magenta depuis le square de la République jusqu’à la rue du Petit-Bonneveau. Elles ont été détruites en 1857 mais il en reste encore quelques vestiges visibles de la rue Bourcani.
Si l’on suit le cours du temps, on peut ensuite s’arrêter rue de la Chaîne, qui rappelle le temps où les rues étaient fermées par des chaînes en cas de troubles, ou sur la bien-nommée place du Pilori ou place de la Liberté. La rue des Grandes-Ecoles rappelle la présence d’une université dans la ville depuis 1431, sur décision du pape Eugène IV ; 
lesdites grandes écoles étaient installées entre les nos 6 et 14. La rue des Ecossais évoque quant à elle l’installation d’une colonie écossaise autour de Maistre Robert Irland, professeur de droit, au début du XVIe siècle. Très passante, la rue de la Tranchée ferait référence à un fait d’armes survenu le 15 avril 1502. La Vierge, Saint Hilaire et sainte Radegonde seraient apparus au sommet de la porte de la Tranchée pour défendre la ville d’une attaque anglaise. La rue de l’Ancienne-Comédie, on le devine, a abrité une salle de spectacle ; elle se trouvait au XVIIIe siècle au niveau de l’actuel n°27. Quant à la place d’Armes, ou place Maréchal-Leclerc, elle a été le lieu des parades militaires à partir de 1830.

Une cité commerçante…

Les noms des rues témoignent du dynamisme économique de la ville à travers les époques. On trouve par exemple la rue des Vieilles-Boucheries, non loin de la place du Marché-Neuf (aujourd’hui place de la Liberté) créé en 1156 par Aliénor d’Aquitaine, ou la rue de la Regratterie du nom des « regratteurs », mots désignant les revendeurs ou fripiers en langue poitevine, ou encore la rue des Caillons, souvenir d’une fabrique de coiffes et caillons qui était installée dans le bas de la rue.

… et vivante

Poitiers était une ville commerçante qui accueillait de nombreux foires et marchés (aux grains, aux bestiaux…), mais elle était aussi une ville de passage entre Paris et Bordeaux, une ville d’étudiants… Il fallait loger et nourrir tout ce petit monde. Les noms des rues portent la trace de nombreuses d’auberges et « hostelleries » : impasse de la Buvette, rue Cloche-Perse, de la Croix-Blanche, de l’Eperon, du Plat-d’Etain, de la Tête-Noire, de la Roche-d’Argent, du Moulin-à-Vent.

Poitiers la religieuse

La plupart ont disparu, mais de nombreux couvents ont été installés à Poitiers au fil des siècles. Il en reste des traces sur les plaques de rues comme la rue Sainte-Croix, témoin de la présence de l’ancienne abbaye royale fondée par sainte Radegonde, la rue des Carmélites (un couvent est répertorié entre 1629 et 1790 au n° 84), la rue des Carmes, du nom d’un couvent bâti en 1367 et démoli en 1791, la rue de la Celle, en mémoire à l’abbaye Saint-Hilaire-de-la-Celle (avant le Xe siècle), la rue des Feuillants (relative au couvent éponyme construit en 1616) ou encore la rue des Cordeliers (couvent installé en 1267 au n° 15, où aurait été accueilli le pape Clément pendant seize mois).

Mystères…

Quelques rues gardent encore le secret de leur histoire, comme celle du Mouton, d’autres ont leur légende, comme celle du Pigeon-Blanc. On raconte qu’elle tient son nom d’une colombe sortait chaque nuit de l’église Sainte-Radegonde et volait jusqu’au matin, jusqu’au jour où un pèlerin a compris qu’il s’agissait de l’âme d’un pêcheur en quête de prières.

Source Histoire des rues de Poitiers du Ier au XXe siècle, de Raoul Brothier de Rollière, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1907, 474p.

Le Poitevin amoureux de sa ville

« Je me souviens de ce qui a lancé ma passion pour la ville, raconte Laurent, alias Loupinge, administrateur du groupe Facebook « Tu es de Poitiers si tu as connu… ». J’avais 10 ans à peine, on habitait rue du 125e Régiment-d’Infanterie et j’allais au centre aéré au Patronage Saint-Joseph, rue des Pouples dans le quartier des Feuillants. Ce jour-là, je n’avais pas envie et j’avais décidé que je n’irais pas. J’ai attendu que ma mère parte pour rentrer, puis je suis ressorti et j’ai marché dans Poitiers. Je me revois encore : je levais la tête pour lire le nom des rues. » Loupinge n’a depuis jamais cessé. « Il y a toujours à découvrir, lâche-t-il. Chaque coin ou recoin, chaque porte ouverte, j’y passe mon nez. J’ai calculé que pour parcourir toutes les rues du plateau (ndlr, l’hypercentre de Poitiers), il y en aurait pour dix-sept heures. Dès que je ferme les yeux, je suis parti. » Au propre comme au figuré, Loupinge peut parcourir Poitiers les yeux fermés !

Une rue préférée ?

 « Toutes les rues sont mes préférées, confie Loupinge. Peut-être la rue de la Jambe-à-l’Ane, j’aime bien son histoire. Elle n’est pas sur le plateau (ndlr, quartier Grand Maison), mais je crois fort à sa légende. Elle dit qu’à une époque ce chemin était tellement étroit et peu praticable qu’il n’était emprunté que par les ânes. Et un certain jour, l’un d’eux a tapé du sabot et il a explosé. Seule la jambe de l’animal aurait été retrouvée. Et puis, quand on regarde le tracé de la rue sur un plan, ça ressemble à une jambe.. »

 

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