Le Regard de la semaine est signé Jean-Luc Terradillos.
Que l’on soit carnivore ou végétarien, rien ne nous empêche de faire bonne chère, c’est-à-dire d’être heureux à table, de faire bon visage (chère vient du latin cara, visage). Et pour être sûr de passer un bon moment ensemble, on évite les sujets qui fâchent. Tout ce qui pourrait diviser les convives et gâcher cette occasion de plaisir partagé est à bannir. Exit les commentaires politiques et autres opinions qui risquent de vous couper l’appétit. Parlons plutôt de ce que l’on est en train de déguster. Rien de superficiel dans cette attitude bien ancrée dans la culture française. Cela remonte à l’invention de la « Nouvelle Cuisine », à partir des années 1650, et des manières de table instaurées à la cour de Louis XIV. La cuisine des élites héritée du Moyen Âge et de la Renaissance était surchargée de sucre et d’épices. La révolution culinaire française consiste alors à retrouver la saveur des aliments -sublimer le produit, dit-on aujourd’hui dans Top Chef- en éliminant la plupart des épices, en séparant le sucré du salé, en structurant les fonds de sauce avec un bouquet garni et des légumes racines.
Quant au discours, c’est inépuisable. Du champ à l’assiette, il y a mille choses à raconter, voire à inventer. L’historien Florent Quellier nous livre sa méthode : quel que soit le plat, il est intéressant de décrire les aspects techniques (ingrédients, différentes recettes, savoir-faire), les aspects calendaires (quand, fréquences, occasions) et les représentations (imaginaire, identités sociale, générationnelle, régionale…) puisque « tout plat véhicule un imaginaire ».
En 2010, l’Unesco a inscrit au Patrimoine mondial immatériel non pas la gastronomie française mais « le repas gastronomique des Français », ce qui inclut la diversité dans une pratique sociale populaire qui célèbre les moments importants de la vie. Repas gastronomique ne signifie pas forcément restaurant
3 étoiles, même si l’on achète des livres de grands chefs, c’est d’abord l’attention à l’Autre et le partage autour du goût. Simplicité et sincérité, ça ne coûte pas cher. Cela commence par la recherche de bons produits de saison. Côté recettes, on a l’embarras du choix, quel que soit son niveau. On peut même initier les enfants à la chimie grâce aux livres d’Hervé This. Chaque plat est un récit, qu’il s’agisse d’un souvenir familial, d’un voyage, d’un roman, d’un film, d’une BD. C’est une histoire que l’on offre et qui continue. Alors, diviseurs de tous poils, retroussez vos manches et passez aux fourneaux !
CV express
Journaliste tout-terrain, d’une insatiable curiosité. J’orchestre L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, revue culturelle à fort contenu scientifique éditée par l’Espace Mendès-France, ancrée dans la pensée d’Edgar Morin : « Relier la science et les citoyens. »
J’aime : flâner dans les villes, marcher sur la plage les pieds dans l’eau, les lectures d’Alberto Manguel, les saveurs de Denis Montebello, les sons de Pierre Henry, Vanessa Wagner, Zaho de Sagazan, le fié gris, le mothais sur feuille.
J’aime pas : les pessimistes chroniques, les lamentations du lundi, les extrêmes, les savantes péroraisons.