Charles Martel, 
cet illustre inconnu

Cette année, Le 7 part en quête de ce que l’histoire de Poitiers a laissé dans le présent, dans l’imaginaire collectif, la langue, le droit… Première étape avec la Bataille de Poitiers. 732, Charles Martel, tout le monde connaît… si peu ! Entretien avec l'historien William Blanc(*).

Claire Brugier

Le7.info

Que sait-on sur cette bataille de 732 dite de Poitiers ?
« Sur le lieu, on ne sait et on ne saura jamais rien, si ce n’est qu’elle a eu lieu dans la vallée de la Vienne, entre Poitiers et Tours. Mais est-ce bien important ? 
Deuxièmement, on n’en a aucune trace archéologique et, en termes de sources, la plus complète est celle que nous avons publié in extenso (lire ci-contre), une « Chronique mozarabe » qui tient sur une page. Elle a été rédigée par un chrétien, pour autant il n’y est pas question de religion. Pour les plus proches témoins de l’époque, on est dans un conflit régional entre deux royaumes, pas dans un conflit religieux. On n’est donc pas face à un phénomène comparable aux Croisades, formalisé au XIe siècle, ou, côté Sarrasins, au concept de Djihad. On ne sait pas quelles sont les motivations de l’armée sarrasine d'Abd al-Rahman. Les historiens s’accordent à dire qu’Eudes, qui tient le duché d’Aquitaine, défait lors d’un raid mené vers Saint-Martin-de-Tours, aurait appelé à la rescousse Charles Martel. A l’époque, tout est jeu d’alliances. Avec la Bataille de Poitiers, Charles Martel met un pied important au sud de la Loire. Son but n’est pas de répandre la chrétienté mais d’étendre son royaume. »


Qui est-il vraiment ?
« C’est un noble austrasien, dont le royaume se situe du côté des vallées de la Meuse et du Rhin, qui essaie de recréer le Regnum Francorum, le royaume fondé par Clovis et qui a implosé en plusieurs principautés. Jusqu’au XVIIIe siècle, il apparaît comme une figure très négative car il est accusé d’avoir pillé les biens de l’Eglise. Cette légende court dès le IXe siècle. On en fait une espèce d’affreux et un usurpateur qui gouvernait à la place du roi (ndlr, Thierry IV, Charles Martel n’était que maire du Palais), surtout à partir du XIe siècle et de la réforme grégorienne, sans oublier la légende du songe de saint Eucher. A l’époque Charles Martel a l’image du mauvais souverain et la bataille passe au second plan. » 


Quand la légende
bascule-t-elle ?
« La bascule se produit au XVIIIe siècle, avec Voltaire qui écrit qu’à cause de Charles Martel l’Europe est restée dans les ténèbres du Moyen Age pendant dix siècles d’obscurantisme car il a une vision fantasmée de l’Islam. En disant cela, il donne à la Bataille de Poitiers un rôle central, non plus national mais quasi civilisationnel. Ensuite vient Châteaubriand selon lequel, à l’inverse, Charles Martel a permis d’éviter l’obscurantisme de l’Islam. Le débat se cristallise fin XVIIIe-début XIXe siècles. Néanmoins, on ne connaît que deux tableaux qui représentent la Bataille de Poitiers, celui de Charles de Steuben (1837) conservé au Château de Versailles qui, si on le lit bien, est une allusion à la conquête de l’Algérie, en lien avec le fantasme orientaliste de l’époque. Le deuxième est visible à l’hôtel de ville de Poitiers (1874 ou 1872). »


Charles Martel est pourtant présent dans les livres scolaires…
« En fait, pas tant que ça ! Dans les années 1950, Charles Martel est absent de la moitié des livres scolaires. Dans le Petit Lavisse (1884), il n’y a pas un mot sur Charles Martel, idem dans Le Tour de la France par deux enfants (1877). Charles Martel ne devient un personnage mémoriel que dans les années 1970, et ensuite dans les années 1990-2000 en lien avec la crainte de l’immigration maghrébine. L’une des origines de ce discours, à l’époque, est le « choc des civilisations » évoqué par Samuel Huntington (1993), lequel prend comme point de départ des grandes batailles, dont Poitiers. Ces théories infusent dans l’extrême droite à ce moment-là. Avant, dans les années 1980, la grande figure du Front national est encore Jeanne d’Arc, car à l’époque l’islamophobie n’est pas au centre du discours de l’extrême droite. C’est au moment de la scission du FN que le MNR en fait pour la première fois un usage politique d’ampleur nationale. Bruno Mégret viendra même à Moussais (cf. photo). »


Comment expliquer que la légende perdure ?
« Je pense que c’est un peu comme 1515 et Marignan. 
« 732, Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers. » Michel Sardou en a parlé dans une chanson à la fin des années 1970, Coluche disait dans un sketch que Charles Martel avait arrêté les Arabes « à moitié »... C’est une référence culturelle qui circule par-ci par-là, mais ce n’est pas et n’a jamais été un événement central. Même à Poitiers, hormis le tableau, les autorités ne l’ont jamais mis en avant. Aujourd’hui, Charles Martel est devenu une figure trop clivante pour le Rassemblement national qui le laisse à Zemmour et à la fachosphère. La Bataille de Poitiers a même été reprise dans un discours de Daech, le 
12 mars 2015. »


Quel est donc l’avenir 
de la « Bataille de Poitiers » ?
« L’avenir dont je rêve pour cette bataille a la forme d’un centre d’interprétation sérieux financé par les deniers publics (sourire). Vu qu’on interprète cette bataille comme un moment de rencontre entre les deux rives de la Méditerranée, évidemment, cela renvoie à des problématiques actuelles, même si la réalité historique est toute autre. Il faudrait pouvoir mesurer ça sur les réseaux sociaux, le nombre d’occurrences... De toute évidence, on va continuer à avoir des fantasmes sur cette bataille. »

(*) Co-auteur de Charles Martel et la Bataille de Poitiers (éditions Libertalia), avec Christophe Naudin, William Blanc est un historien médiéviste de formation qui s’intéresse aux représentations contemporaines du Moyen Age. 

1, 2, 3, 4 batailles
Outre la bataille de 732, trois événements sont restés dans l’histoire sous le nom de bataille ou siège de Poitiers : le siège de 955, qui opposa Guillaume III d’Aquitaine à Hugues le Blanc, la bataille de 1356 contre les Anglais – qui inspire le festival Nouaillé-1356 chaque été-, et le siège de 1569 face aux protestants de l’amiral Gaspard de Coligny.

Nom de nom !
En référence à 732 et Charles Martel, la Vienne compte quelques références, un café à Poitiers, le Martel 732. « Autrefois il s’appelait le Vélodrome mais quand celui-ci a été démoli à Rébeilleau, on a changé le nom. C’est mon mari et un de ses copains qui ont choisi », raconte la gérante Yvette Joly. A Châtellerault, on trouve Charles Martel Immobilier. « Quand j’ai repris le Cabinet Charles Martel, on a gardé une partie du nom. Dans notre région cela reste une référence historique », explique Sandrine Hay.

Sur grand écran
« J’ai été sollicité comme conseiller historique pour Reine Mère, un film à sortir de Manele Labidi, avec une mise en scène assez marrante de Charles Martel », révèle William Blanc.

 

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