Il danse pour vibrer

Benjamin Bertrand. 29 ans. Danseur fondateur de la compagnie chorégraphique poitevine Radar. Né sous X de parents algériens, il a d’abord mêlé son travail du corps à sa propre quête d’identité. Il se concentre aujourd’hui sur les connexions sensorielles, les vibrations qui relient les êtres.

Steve Henot

Le7.info

Il est ici comme chez lui. A 29 ans, Benjamin Bertrand est un habitué du Tap de Poitiers, où il s’est déjà produit à plusieurs reprises. Début avril, c’était à nouveau dans le cadre du festival A Corps, pour Inside Your Bones, sa dernière pièce chorégraphique qui lui a été commandée par l’artiste québécois Jean-François Laporte et l’ensemble instrumental Ars Nova.

Ici, le public partage la scène avec le danseur et ses musiciens. Au plus près, libre et sans barrière, dans « un espace pour les corps, qui peuvent se tendre, se frôler ». On y voit parfois Benjamin se frayer un chemin, au beau milieu des spectateurs, tandis que les sons résonnent et vrombissent tout autour. La rencontre se fait alors, point de départ d’une « symbiose » physique entre tous les acteurs. « La vibration est quelque chose qui nous est nerveusement commun. La question du plaisir est toujours plus importante pour moi, comme une manière de refaire attention à comment l’on se touche, comment l’on se regarde. Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus tactiles avec nos écrans et de moins en moins avec nous-mêmes. »



Cette communion des sensations était déjà au cœur de Rafales, le deuxième spectacle de Benjamin (2017). « C’est quelque chose en moi qui a commencé à flamboyer. Peu à peu, ça s’ouvre. » Créer des pièces chorégraphiques est le « rêve » que le jeune homme a toujours nourri depuis ses débuts, à l’âge de 18 ans, dans la danse contemporaine. Il a découvert la discipline à travers les ateliers de Claire Servant au lycée Camille-Guérin de Poitiers. Une révélation. « Une seconde école, dit-il. Cela a aussi très fort dans l’affirmation de ma sexualité. »

Né sous X

Après le bac, il passe une licence de lettres et de philosophie à la Sorbonne puis part se former au Conservatoire des Abesses, toujours à Paris. En 2015, Benjamin Bertrand crée sa propre compagnie, Radar, à Poitiers. Comme souvent avec les premières œuvres, sa première pièce, créée la même année au centre chorégraphique national de Roubaix, parle de lui, de son vécu. Celle d’un jeune homme né sous X, en quête de ses origines, de son identité. « Je n’ai pas réglé la question, mais ça m’a permis de la poser », confie-t-il, avec pudeur. Aujourd’hui, il ressent moins la nécessité de se raconter, l’envisage différemment. « Plus j’avance, plus je me dis que ce n’est peut-être pas le plus important. Je ne suis pas sûr que ce soit un moyen de s’ouvrir en tant que performeur. Je m’intéresse plus à un paysage qui serait loin, que je voudrais atteindre. »

Ce paysage, c’est celui de ses racines profondes, l’Algérie de ses parents sans visage. Il s’y est rendu pour la première fois en octobre 2017, avec le souvenir ancré d’un « lever de soleil incroyable sur la baie d’Alger ». Il garde aussi en mémoire de nombreux sons -l’appel à la prière, le chant de la mer, le brouhaha des rues, aux abords des écoles- et de belles rencontres qui pourraient nourrir de futures créations. Une découverte d’autant plus marquante que le pays aujourd’hui bouillonne. « Il y règne un climat très intense, avec le réveil de cette jeunesse à laquelle on a refusé tout avenir, souligne Benjamin. C’est toujours un territoire qui m’appelle. »

D’autres horizons l’attendent. A partir de septembre, il sera en résidence de recherche à la Villa Kujoyama, à Kyoto (Japon), pour étudier le théâtre Noh -alliance de chroniques en vers à des pantomimes dansés- et la gestuelle de certains rites funéraires locaux. « J’ai toujours été attiré par la culture et la philosophie japonaises. Tout y est extrêmement codifié. Je suis intrigué par la manière dont ils gèrent la mort, leur deuil… Par cette façon qu’ils ont de croire en leurs gestes. D’un point de vue imaginaire, je trouve ça intéressant. »

Aux côtés de Christine & The Queens

Benjamin a toujours nourri une grande sensibilité pour les arts. Du cinéma au théâtre, en passant par la littérature, la musique, la sculpture ou encore la peinture… Tout l’inspire. « La danse, c’est une pensée, une manière d’être avec le monde. Une façon de s’exprimer, aussi », dit-il. Cette même curiosité le pousse, aussi, à explorer d’autres voies. Et notamment celle d’interprète, qui l’amène à « être au service d’une œuvre, d’être à l’écoute ». « La virtuosité peut aussi se jouer à cet endroit. Pour le chorégraphe Olivier Dubois (avec qui il a travaillé sur Tragédie et Auguri, ndlr), l’interprète est un être multi-antennes, chez qui tout est à l’affût. C’est un état d’existence vers lequel je tends. » Il danse aussi aux côtés de la chanteuse électro-pop Christine & the Queens, avec le collectif (LA) HORDE. Une collaboration qui lui est vite apparue évidente, lors du casting. « Déjà, c’est une performeuse hors-pair, très généreuse. J’ai beaucoup aimé son premier album et sa manière de construire son personnage, sa propre esthétique. »



En attendant de donner vie à La fin des forêts, sa prochaine pièce pour quatre interprètes et l’artiste PYUR (prévue pour 2020), Benjamin revient régulièrement dans la Vienne de ses parents adoptifs. En partie pour travailler avec dix-huit « collégiens incroyables » de Jean-Rostand, à Neuville-de-Poitou, avec lesquels il remonte actuellement Rafales. Un projet de transmission qui l’enthousiasme et qu’il lui tarde de présenter publiquement, le 19 juin, au centre d’animation de Beaulieu.

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