Consoles de jeu, smartphones, tablettes, télévisions… Les écrans inondent notre quotidien, jusqu’à occuper une place prépondérante dans nos foyers. Faut-il s’en inquiéter ? La question était posée, la semaine passée, à l’occasion des Rencontres Michel Foucault, au Tap de Poitiers.
Au travail ou à la maison, nous sommes cernés. Smartphones, tablettes, télévisions… On compte aujourd’hui cinq à six écrans par foyer. Et leur consommation a explosé en proportion. Selon une étude HBSC, les collégiens consulteraient plus de deux cents fois par jour leur smartphone, soit près de quatre heures. Ils s’y informent, jouent ou regardent des vidéos en ligne… « Sur un écran, on n’a pas la notion du temps », reconnaît Adam, élève de 4e au collège Jules-Verne, à Buxerolles. De plus en plus individualisés, ces supports ont ouvert à de nouvelles pratiques médiatiques, très chronophages, à l’image des réseaux sociaux.
Doit-on aujourd’hui parler d’addiction aux écrans ? Pour l’heure, aucune classification des maladies ne la reconnaît. « Je préfère parler d’usage problématique, confie Aline Ménoret, psychologue au Csapa 86(*). J’ai du mal à le mettre sur le même plan que la toxicomanie par exemple. » Pour Isabelle Féroc-Dumez, directrice scientifique et pédagogique du Clemi-Réseau Canopé, « il y a une addiction à ce lien avec les autres. Les portables sont parfois plus disponibles que les parents eux-mêmes. On est peut-être moins connecté avec la famille ».
« Il faut aussi parler du contenu »
Reste qu’une exposition durable et précoce aux écrans peut avoir des effets néfastes chez les jeunes enfants. « Entre 2 et 3 ans, le langage s’apprend par le corps. Pas seulement du bout des doigts, sur une tablette », souligne Aline Ménoret. D’après une étude « Junior Connect’ », réalisée par Ipsos, près de 88% des 15-24 ans présenteraient des troubles du sommeil. « En moyenne, huit sur dix consultent un écran avant de se coucher. Ce n’est pas anodin », note Wilfried Serra, psychiatre et médecin coordonnateur au Csapa 86.
« L’écran est un support, mais il faut aussi parler du contenu, qui peut être extrêmement violent », ajoute Isabelle Féroc-Dumez. Bien que souvent présenté comme la cause de certains faits divers, le jeu vidéo ne rendrait pas plus violent. « Le débat sur le jeu vidéo, on l’a aussi sur les excès en matière de représentation de l’érotisme et de la violence dans le cinéma, observe Denis Mellier, professeur de littérature et membre du laboratoire FoRell de l’Université de Poitiers. On craint l’effet, le pouvoir que cela peut avoir sur des mineurs qui ne sont pas encore en mesure d’avoir une distance critique. »
« Toute la société doit faire l’éducation »
C’est pourquoi « toute la société doit faire l’éducation, il faut ouvrir le débat », assure Fardin Mortavazi, qui utilise le théâtre pour aider les jeunes à penser leurs liens sociaux numériques. A ce titre, l’école doit être un acteur de premier plan. « Le parcours citoyen, la Semaine de la presse… Tous les projets questionnent les médias. On s’empare du sujet mais on ne maîtrise pas tout », reconnaît Rachel Marquer, la principale du collège Jules-Verne. Le dialogue autour des écrans doit donc aussi se nourrir au sein de la famille. Pour épauler les parents, le Clemi-Réseau Canopé a récemment édité un guide pratique, riche en conseils en éducation aux médias et à l’information. « Il faut leur redonner confiance, insiste Christian Gautellier, directeur national des Ceméa en charge des publications et du pôle médias. Le rapport à l’autorité, l’ouverture à d’autres contenus… Ce sont des fondamentaux de l’éducation. Cela demande une culture critique minimale pour avoir l’intervention éducative appropriée. Il faut reprendre la main là-dessus. »
Prenant l’exemple du couteau, la psychologue clinicienne Marion Haza rappelle que « l’on fait ce que l’on veut d’un outil, tout dépend de ce que l’on en fait ». Les écrans et leurs contenus ne sont, par essence, pas nos ennemis.
(*) Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie.