Le paléoanthropologue Pascal Picq s’adressera demain à un parterre de dirigeants de la Vienne, dans le cadre de la journée «Entreprises en Vienne». Membre de l’Observatoire de l’ubérisation de la société, il viendra leur parler évolution, transformation et adaptation dans une économie bouleversée par le numérique.
Quel message peut bien transmettre un paléoanthropologue à des chefs d’entreprise ?
« C’est vrai que ça peut paraître paradoxal ! Mon activité se concentre sur deux aspects : la connaissance du grand passé, de l’histoire de la lignée humaine et, l’autre moins connue, sur la manière dont les évolutions se font. Avec le monde économique et social, je réfléchis aux conditions du changement. L’homme continue à co-évoluer avec les autres organismes vivants. Je cherche donc à comprendre comment nous nous adaptons physiologiquement, biologiquement et cognitivement à nos environnements techniques et culturels. Evidemment, ce thème est d’actualité dans une période de changement engendré par le numérique. »
Vous avez des recettes à leur proposer ?
« Des recettes, non !Mais des principes universels, oui ! L’humain est Lamarckien, au sens de Jean-Baptiste de Lamarck. L’environnement change et nous devons trouver des solutions pour nous adapter. Face à cela, l’Homme peut mobiliser sa créativité. L’entreprise le fait tous les jours sur son marché. Sauf qu’aujourd’hui, on bascule progressivement de ce monde lamarckien de l’adaptation vers une économie de l’offre, où les solutions attendent leurs problèmes. Des jeunes sont capables de créer leur start-up à partir de zéro grâce au crownfunding. Et cette idée peut changer le monde. C’est l’exemple de Twitter. Une équipe de quelques personnes a fait un hackathon. L’un d’eux a voulu créer une messagerie de 140 caractères pour communiquer avec ses amis. Est-ce que cela correspondait à un besoin fondamental de l’humanité ? Non, mais cela a changé le monde. On appelle cela la contingence. Des concepts apparaissent tous les jours. Si les gens ne s’en saisissent pas, cela ne change rien au monde. En revanche, si c’est sélectionné, c’est parti. Vous croyez que les créateurs de Twitter avaient imaginé les Printemps arabes ou les systèmes d’émergence d’épidémie, à partir de ce que disent les gens sur leur petit état de santé ? Non. Avaient-ils envisagé les fake news ? Non plus. A côté de cela, un autre phénomène apparaît. On voit émerger des plateformes qui se mettent entre les prestataires et les clients et qui modifient les marchés. Par exemple, le site Booking.com pour les hôteliers. On peut manifester de l’empathie pour ces derniers, mais cette plateforme rend de sacrés services… Il faut s’adapter. »
Une solution quand même ?
« Dans le monde actuel, les entreprises vont devoir se montrer co-évolutives. Le vrai problème, en France, c’est l’individualisme. Mon message aux entrepreneurs, c’est d’installer un système de valeurs partagées. Walmart a voulu installer un système de recyclage de ses emballages. Sauf que tout cela est moins développé aux Etats-Unis. Ils sont allés voir leurs concurrents, les municipalités où étaient implantés les magasins pour créer une communauté écologique. Walmart, premier distributeur au monde, ne pouvait pas le faire tout seul. Quand on transcende les valeurs personnelles, on crée de la co-évolution sur un territoire. Le numérique permet de le faire. »
On dit que la robotisation va détruire des emplois. Qu’en pensez vous ?
« Clairement, l’Allemagne a deux fois plus de robots dans l’industrie, deux fois plus d’emplois qualifiés et une part de PIB plus forte que la nôtre. En France, dès qu’il y a changement, on pense qu’on va perdre quelque chose. Les tâches vont changer. Les entreprises devront déterminer ce qu’elles peuvent réserver à l’intelligence artificielle et ce qui fait la créativité de leur métier. Tout ce qui est lié à l’automatisation, l’induction, est mieux fait par les robots. Pourquoi pas ? C’est de l’intelligence augmentée. Une aide au diagnostic, c’est génial. La formation est une question fondamentale pour emmener les gens vers autre chose. »
Pour aller plus loin...
« Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots » (Odile Jacob 2017).
« Un paléoanthropologue dans l’entreprise : s’adapter et innover pour survivre » (Editions Eyrolles 2001).