Aude Tonneau-Silari, 46 ans. Maman d’une jeune femme de 22 ans, diagnostiquée très tardivement autiste Asperger. Vient de publier une véritable lettre ouverte à son intention aux éditions Persée. Ce témoignage profondément intime de leur quotidien servira à de nombreux parents.
Une petite fille d'à peine 5 ans marche seule sur la plage. Elle semble se désintéresser totalement du tumulte des vacanciers que l’on aperçoit au second plan. Pieds nus, les yeux rivés vers le sol, elle suit un chemin imaginaire tracé dans le sable par le pas- sage d’un engin. Un seul coup d’œil sur cette photo dit tout du syndrome dont souffre la jeune Apolline. C’est cette image que sa maman Aude Tonneau-Silari a choisie pour illustrer la couverture de son livre consacré à l’autisme Asperger.
Son titre, « Une petite leçon de course d’obstacles » (éditions Persée), laisse présager des moments difficiles vécus par la mère et sa fille, « cataloguée » très tardivement... l’année de sa majorité. « Mon papa m’a dit un matin, sur le chemin de l’école, « la vie est une course d’obstacles, tu dois apprendre à les surmonter ». Je ne l’ai jamais oublié », sourit l’auteure. Il a été le premier à lire et approuver le manuscrit. « Maman est partie quelques semaines trop tôt malheureusement. »
S’amuser, se faire des amis… impossible
Apolline apprend à sa manière, parle parfaitement et ne souffre d’aucun handicap physique. Sa maladie, quasi invisible, s’exprime dans la relation aux autres. « S’amuser en cours de récréation, se faire des amis, suivre une conversation, comprendre l’humour ou décrypter les émotions sur les visages sont autant de terrifiantes difficultés à surmonter pour cette enfant pas comme les autres », explique dans son ouvrage Aude Tonneau-Silari. Elle se souvient du « déchirement » le jour où sa fille l’a elle-même repoussée. Vers 3 ans, les bisous et les caresses sont devenus impossibles.
Assise derrière le bureau de son cabinet, la chirurgienne-dentiste paraît fatiguée de ses vingt années de combat pour faire accepter au monde sa « belle extraterrestre ». Sa voix douce relate l’incompréhension et parfois la méchanceté des faux-amis, le manque de soutien de sa famille, éloignée géographiquement et réfractaire au sujet. A chaque page du livre, le lecteur craint un nouveau bouleversement.
« Notre vie ensemble a toujours été ainsi », confirme l’intéressée, à fleur de peau. « C’est une vé- ritable lettre ouverte à ma fille que j’ai voulu lui transmettre afin de lui dire pardon et merci », poursuit Aude Tonneau-Silari. Pardon de n’avoir pas saisi plus vite le mal qui rongeait Apolline. Mais contre toute attente, cette Poitevine de 46 ans avoue aussi s’être émancipée grâce à sa fille : « J’ai souvent dû dépasser mon caractère timide et effacé pour prendre les devants afin de ré- soudre les problèmes. »
Bel esprit de famille
Pourquoi en parler au passé ? Parce que les deux femmes ont rejoint leur « ligne d’arrivée ». Une phase d’« apaisement » qui dure. De « réconfort » et d’harmonie enfin trouvée. Très minutieuse, attachée aux « détails qui rendent le monde plus beau », comme dit sa mère, Apolline s’est découvert une passion pour le dessin. Le secteur de l’illustration jeunesse lui tend les bras. Et en plus, la jeune femme de 22 ans a rencontré un homme du même âge, aux traits de caractères identiques aux siens. Il lui reste encore à accéder à une autonomie durable, mais elle s’éclate. Ce qui a le don de soulager sa maman : « Apolline a dû en permanence lutter contre sa nature pour être acceptée. C’est une vraie revanche. »
Le père d’Apolline, médecin lui aussi, a quitté le foyer il y a dix ans. Epuisé et acceptant difficilement la fatalité. Mais Aude ne lui en veut pas, persuadée qu’ils sont devenus de « bien meilleurs parents chacun de (leur) côté ». Elle se plaît à admirer le « bel esprit de famille » qu’ils ont su conserver. Ensemble, ils ont préparé la première exposition d’Apolline. Ensemble, ils ont affronté la terrible maladie qui a récemment frappé Aude. Elle en est sortie victorieuse, comme si l’histoire n’était pas encore terminée. Audre croit au destin et cherche un sens à tout ce qui lui arrive. Apolline a encore besoin d’elle. Et Charles aussi, leur second enfant, qui vient de décrocher son bac scientifique avec mention « Très bien ». « Lui aussi a beaucoup pleuré en découvrant le contenu du livre. Son comporte- ment a changé de- puis. Il a toujours été très humain et respectueux, mais je trouve qu’il cherche davantage à communiquer avec sa sœur. » Les parents qui liront son ouvrage risquent de verser quelques larmes également... Qu’ils ne s’arrêtent pas là ! « Ce témoignage doit leur donner de l’es- poir, surtout s’ils décèlent des ressemblances avec leur propre enfant. C’est aussi pour cela que je l’ai écrit. » En séances de dédicace , à travers les emails et les courriers, elle se sent « utile ».
(*) Le 7 octobre, à partir de 14h à l’Espace culturel Leclerc, à Poitiers.