Volet secondaire de la Loi Travail, le droit à la déconnexion est entrée en vigueur le 1er janvier 2017. Dans les faits, on constate beaucoup de disparités dans les entreprises de plus de cinquante salariés, concernées par la mesure.
Selon le ministère du Travail, 37% des actifs français utilisent des outils numériques en dehors de leur temps de travail et 62% d’entre eux réclament une régulation. L’enquête réalisée par le cabinet Eléas(1) révèle ce que tout le monde sait déjà : la frontière entre vies privée et professionnelle se révèle de plus en plus poreuse. Ancienne journaliste, Catherine(2) a vécu plusieurs années sous la tyrannie de sa messagerie professionnelle. Jusqu’au burn-out (cf. colonne repères). « Je me levais la nuit pour consulter mes mails, j’anticipais mes rendez-vous pendant les vacances… J’étais accro et c’est devenu infernal. » Le temps a fait son œuvre et, avec du recul, Catherine reconnaît des torts partagés. « D’un côté, je voulais faire mon job le mieux possible, être « la bonne élève ». De l’autre, je pense qu’il y a de la pédagogie à faire auprès des managers. »
« Chacun est responsable »
L’article 55 de la Loi Travail sur le droit à la déconnexion vise précisément à trouver des modus vivendi. D’abord dans les entreprises de plus de cinquante salariés, désormais tenues de mettre le sujet sur la table dans le cadre des Négociations annuelles obligatoires ou, à défaut de rédiger une charte de bonne conduite. Ce qui vaut pour de grands groupes ne vaut évidemment pas dans des PME familiales. A l’image de Duvivier, fabricant de canapés à Usson-du-Poitou, 70 salariés au compteur et seulement trois cadres. « A ce niveau de responsabilités, je considère que chacun est responsable de la gestion de sa vie privée, estime Frédéric Barotto, directeur administratif et financier. Maintenant, il faut aussi apprécier le degré d’urgence des messages et prioriser les choses. »
Un temps de déconnexion de référence
A La Poste, on aborde la problématique de manière très proactive. Et pour cause, 100 000 postiers utilisent un ordinateur et des milliers de cadres sont branchés sur leurs stmartphones. Bien entendu, hors de question de débrancher les serveurs ou d’instaurer des journées sans mails. « Nous fonctionnons 24h/24 pour assurer l’ensemble de nos services, ce serait impossible », argumente la direction. Cela dit, un « temps de déconnexion de référence » de 20h à 7h30, du lundi au vendredi et les week-ends, a été mis en place. « Seules la gravité, l’urgence ou l’importance exceptionnelle (santé d’un collaborateur, intégrité des biens et des services, continuité de service (tempête de neige qui empêche l’acheminement et la distribution…) peuvent justifier l’usage de la messagerie professionnelle ou du téléphone en soirées ou en dehors des jours travaillés », précise l’accord d’entreprise.
Le leader de la distribution de courrier va plus loin et a mis en place une fenêtre d’alerte sur la messagerie. Pendant les heures de déconnexion, la pop-up proposera deux options : différer l’envoi du mail ou le confirmer s’il est urgent. L’air de rien, ces initiatives permettent de s’interroger sur ses propres pratiques. Chez Orange, en revanche, pas de digital detox au programme. On laisse aux managers le soin de sensibiliser les collaborateurs à un usage modéré des outils à leur disposition. « Le dernier accord sur la transformation numérique comporte un volet sur l’équilibre entre vie privée et vie publique… », conclut Julie Calvet, responsable communication externe Poitou-Charentes et Limousin. Notons que le droit à la déconnexion ne s’accompagne d’aucune sanction. Mais en cas de conflit aux prud’hommes pour harcèlement moral, ce pourrait être un argument supplémentaire.
(1) Enquête réalisée du 20 au 28 septembre 2016 auprès d’un échantillon de 1010 personnes représentatives de la population active française métropolitaine.
(2) Le prénom a été modifié à la demande de la personne.
Stéphanie Paolini : Dissocier l’important de l’accessoire »
Médecin du travail à Chassseneuil, Stéphane Paolini observe très concrètement une hausse du nombre de cas d’épuisement professionnel, liée aux outils numériques. « Surtout chez les hommes, précise-t-elle. Il y a une compétition entre cadres ou dirigeants, qui fait qu’on hésite à se confier auprès de ses collègues. » A l’écouter, le fait de rester connecté 24h/24 s’est « normalisé ». « Le numérique contracte le temps et les salariés ne sont plus capables de dissocier ce qui est important de ce qui est accessoire… Tout devient urgent et immédiat. Personne ne s’insurge que des mails soient envoyés à 1h du matin. » Evidemment, cette forme de pression sociale a des répercussions sur le plan de la santé des individus. Troubles de la mémoire, fatigue, manque d’efficacité, irritation, perte de confiance en soi… Quand la spirale infernale s’enclenche, « c’est souvent trop tard », ajoute le Dr Paolini. « Je vois beaucoup de commerciaux itinérants qui sont sans cesse sollicités au téléphone. Ce qui ajoute un danger supplémentaire. Et comme ils ont une rémunération dépendante de commissions, leur journée de travail est infinie. » Pour le médecin du travail, une prise de conscience doit maintenant s’opérer dans les entreprises pour que ces situations ne se démultiplient pas.