La négociatrice

Chimène Mandakovic. 45 ans. Travaille pour l’Organisation des Nations Unies. Sillonne le théâtre des pires conflits pour désarmer et réinsérer des combattants, parfois adolescents. Entre deux missions, cette réfugiée chilienne, mère de deux enfants, s’offre des « pauses » salvatrices entre amis dans sa maison du Sud-Vienne.

Romain Mudrak

Le7.info

Début des années 2000, République démocratique du Congo. Après trois ans de guerre, les groupes armés parviennent à un accord de cessez-le-feu. La tension n’en reste pas moins vive. Chimène Mandakovic est envoyée par l’Organisation des Nations Unies pour libérer les enfants soldats embrigadés sans ménagement. L’une de ses missions la mène dans les montagnes, à plusieurs heures de route, pour rencontrer un commandant maï-maï. Elle communique avec lui grâce à des « petits mots écrits », transmis par porteur. Arrivée sur place à bord d’un convoi de casques bleus, ce petit bout de femme d’un mètre soixante déstabilise radicalement le chef rebelle. Elle raconte : « La négociation est un grand jeu. Il avait préparé une table et des bières, mais trouver une femme face à lui a bousculé ses règles. Comme je ne bois pas d’alcool, cet homme m’a proposé du thé, offert une chaise tout en restant très poli. Etre une femme est un atout dans ce genre de situation. Je l’ai ramené à son humanité et, finalement, il a accepté de libérer les enfants. »

Les émotions s’entrechoquent. Au fil des années, la directrice adjointe du département de démobilisation, désarmement et réinsertion de l’ONU prend de la distance avec les événements. Mais sa consommation de cigarettes trahit un besoin de contrôle permanent. Depuis son entrée sur la scène mondiale en 1996, ses fonctions ont évolué. Elle a élaboré des « scénarios de fin de conflits », « construit des projets de vie » pour inciter les combattants à lâcher les armes. Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, elle travaille avec le gouvernement à « unifier la population » après la guerre de 2010. « Des fidèles de l’ancien président Laurent Gbagbo conservent une attitude de suspicion par rapport au pouvoir en place. Je resterai là-bas au moins jusqu’aux élections présidentielles en octobre 2015 », explique l’experte.

Elle fuit Pinochet
Sa volonté de s’engager au service des autres et de la paix est apparue très jeune. A 4 ans, Chimène a fui le Chili avec ses parents au moment du coup d’Etat de Pinochet en 1973. En France, elle a observé sa mère dans ses démarches visant à faire venir sa famille, en proie à la violence des affidés du dictateur. Dès 14 ans, l’exilée a commencé à envoyer des lettres de motivation à l’ONU. « Je leur expliquais ce que je pouvais leur apporter… » Finalement, cette diplômée de « l’école de l’humanitaire » Bioforce à Lyon a atteint son but un peu avant ses 30 ans.
 
Chimène Mandakovic est intervenue au Rwanda, en Haïti, en Angola, au Darfour, en Afghanistan ou encore auprès des rebelles maoïstes du Népal. Tous ses déplacements sont encadrés par les Casques bleus. L’un d’eux, un officier sri lankais, est devenu son mari. L’éloignement a poussé Chimène à rester très indépendante. La naissance de ses filles, âgées de 11 et 2 ans, l’a incitée à se construire un havre de paix dans le Sud-Vienne, où ils se retrouvent tous les quatre quelques semaines par an. « Lorsque mon premier enfant est venu au monde, j’ai pris conscience de ma féminité et de la nécessité de mener ma vie personnelle. Par la suite, j’ai fait deux pauses de plusieurs mois pour quitter ce système stressant. » Elle a également compris que ses interlocuteurs, même les plus durs, avaient, eux aussi, le désir de fonder une famille, ce qui a considérablement modifié sa manière d’appréhender son travail.
 
Cas de conscience
2008, dans les montagnes afghanes. Chimène veut vérifier qu’un chef pachtoune a résolument abandonné la lutte armée. Plutôt que d’aller le voir de front, elle rencontre les femmes de son clan. « Ce fut un spectacle extraordinaire. Une fois dans le container aménagé, elles ont retiré leur burqa laissant apparaître leur visage maquillé et leur mini-jupe. Je n’aurais pu assister à cela si j’avais été un homme », se souvient l’intéressée. Et quand elle a fini par leur demander ce qui avait changé depuis le retour de leur mari, elles lui ont répondu simplement : « Nous avons plus d’enfants… » Nos actions ont parfois des conséquences imprévisibles. Chimène le sait bien, mais les questions se bousculent dans son esprit : « Ces femmes avaient endossé un rôle important dans leur groupe. Désormais, elles sont redevenues des esclaves. N’aurait-il pas mieux valu que les hommes ne rentrent pas ? »
 
Malgré ces interrogations, Chimène Mandakovic continue d’arpenter les terres les plus hostiles. Elle profite des « fenêtres d’opportunité » pour retirer des milliers d’armes du circuit et convaincre les protagonistes que la paix est une solution viable. Sans croire à la fin des guerres.

À lire aussi ...