Psychologue clinicienne et expert judiciaire sont deux fonctions difficiles à concilier. L’un doit préserver la vie personnelle de ses patients, l’autre a le devoir de dire toute la vérité à la justice. Dans ce huitième épisode de notre série consacrée au secret professionnel, Chantal Magnant décrit sa démarche, « dans le respect de l’être humain ». Rencontre.
Dans son cabinet de l’avenue du 8 mai 45, Chantal Magnant en a entendu de belles. Aujourd’hui à la retraite, cette psychologue clinicienne reçoit encore des couples en pleine séparation, par le juge aux affaires familiales. Elle intervient lorsqu'un enfant ne veut plus vivre chez l'un de ses parents. Parfois aussi pour savoir si un père violent avec sa femme peut continuer à voir son fils sans danger. « Dans ces cas-là, on apprend souvent des choses par l'enfant, témoigne l'intéressée. Bien sûr, il ne faut pas que ses paroles apparaissent clairement dans mon rapport. Ses parents diraient qu'il est méchant, que c'est de sa faute s'il ne voit plus son père.
Experte judiciaire auprès de la cour d'appel de Poitiers depuis 1985, Chantal Magnant effectue une quarantaine d'évaluations chaque année. « Mon rôle consiste à donner du sens aux actes. Ceux-là doivent être cohérents avec le discours de l'auteur et les résultats des tests projectifs que je lui impose. »
Evénements traumatisants
Parmi ses attributions, la psychologue doit aussi qualifier l'état d'esprit d'un agresseur, positionner son niveau d'adaptation à la réalité. Elle se rend régulièrement au centre pénitentiaire de Vivonne pour rencontrer des prévenus en détention provisoire qui attendent leur procès. Se pose alors un cruel dilemme pour un praticien consciencieux : comment garder le secret professionnel inhérent à son métier, quand on a juré de dire toute la vérité sur un homme, à la barre d'un tribunal ? « De mon côté, je dis immédiatement aux prévenus que je ne suis pas tenue au secret, comme ils pourraient le croire. En revanche, je distingue les éléments d'instruction de ceux qui ne regardent pas la justice. »Certains secrets sont fondamentalement structurants. D'autres sont pathologiques, comme les sujets tabous au cœur des familles. Tout le monde le sait, mais on n’en parle pas.
Ces informations, non seulement sont compliquées à obtenir, mais Chantal Magnant estime aussi qu'il faut « les respecter ». « Les agresseurs n'osent souvent pas dire qu'ils ont été victimes dans le passé », relève-t-elle. Devant le juge et les jurés, l'experte évoque alors des « hypothèses ». Sa phrase fétiche : « On peut imaginer que... ». Elle parle « d'événements traumatisants », afin de ne pas dévoiler publiquement un passage douloureux de la vie de la victime ou de l'agresseur. « Je pense que cela ferait du mal inutilement aux gens. Mon objectif est seulement de donner au juge des éléments de compréhension. » La plupart du temps, les acteurs finissent par raconter eux-mêmes leur histoire personnelle, sous la pression de l'instruction. C'est ce qu'on appelle le cheminement de la vérité.
La justice, mauvaise payeuse
172,80€. C’est le tarif appliqué par le ministère de la justice pour chaque profil évalué par un psychologue. Problème, entre les déplacements, les rencontres parfois multiples, l’analyse des tests et la rédaction des rapports, Chantal Magnant estime le temps de travail correspondant à environ quinze heures en moyenne. Ce montant n’a pas été revalorisé depuis 1998, alors que, dans le même temps, le nombre d’expertises a explosé. Si seulement c’était l’unique souci… Mais un profil dressé en mai n’est rémunéré, en général, que neuf mois à un an plus tard. Fin 2011, année prolifique pour l’experte, la justice lui devait « plus de 6 000€ ». La Compagnie nationale des experts psychologues mène le combat contre le retard de paiement depuis des années. En vain. La pénurie de « main-d’œuvre » provoquée par cette situation pourrait faire évoluer la position du ministère.